• 12 - Crampons

    Sale bête. Du dedans. La petite. Avec ses dents.
    Sous la peau de peinture, elle creuse, elle n’a pas mangé les dents de bois, mais le nez de bois et la lèvre de bois.
    Comme moi, elle en mange, du masque.

    Puis l’autre, bête, la rouge là, la grosse.
    Toujours à m’observer d’en haut avec son oreille cassée.
    As tu faim, la bête ?
    Toujours ses proéminences modernes, inatteignables pour l’apprenti.
    Le glissé de ses rondeurs plantées de sept chicots impossibles.
    Je crois voir les mouvements des outils pour arriver à ça, mais dans un rêve enfumé.

    Représenter les esprits est un sport particulier. Faut vénérer autant qu’incarner.
    Car c’est bien de viande, de carne, de chair, qu’il s’agit.
    Mâcher lui sera difficile, certes, avec ce dentier, mais c’est l’intention qui compte.
    Crampons à viande.
    La viande de l’acteur/trice va se faire inquiéter.
    L’acteur/trice n’a qu’à bien se tenir, un truc comme ça, faut le suivre !
    Même sans nez.
    Que faire de son corps avec ça dessus ?
    Délirer ?
    Ici on comprend que la bestiole vous tombe dessus, puis la transe... mais en France ?
    Co(s)mique ?

    , par Charlie

  • 11 - Salade

    Le défilé de gens qui viennent voir le maître pour commander des masques, ou vérifier la commande en cours, ou tailler le bout de gras, n’en finit pas.
    Le bois qui fond sous mes gestes répétés, me rend invisible à tous.
    Normal, ici on sculpte et moi je sculpte ici.

    Mais pak Juala me parle.
    Et ma méthode assimil usée de crasse, devient mon ordonnance.
    C’est ça la solitude : sans répit, dans un livre, chercher ses mots.
    Symptôme : on dit mal ou en mime, ou les deux. Ou pas.
    Une sorte de maladie des mots... assimil matin midi et soir.

    Mes allers-retours sur le bout de bois sont ponctués par les reprises du maître : techniques de fentes, de saignées, de plaies.
    Un visage arrive.
    Comment acquérir cet oeil qui sait les formes avant même que les formes soient ?
    Six heures assis. En tailleur.
    Salade de masques.

    , par Charlie

  • 10 - Pak Juala

    Pak Juala.
    Sculpteur spécialiste de Barong (celui qui est au sol sur deux bouts de bois).
    La maison familiale est aussi la mienne pour une semaine.
    Ici, à Bali, on reste en famille des grands parents aux petits enfants.
    Chacun sa pièce, et tout le monde côtoie tout le monde tout le temps.
    Personne ne parle anglais, les coqs peut-être...
    Tous sont souriants, pas les coqs.
    Semaine intensive de sculpture.
    Les masques sont partout : dans des vitrines sales, en séchage sur des ficelles qui tombent des plafonds, dans des cartons, sur des étagères, par terre...
    Les couleurs (warna)sont faites à la main par le fils de pak Juala : avec des cornes, de la caseïne, et des pigments... Français ! Oui madame !
    Mais des cornes de quoi ? De qui ?
    La tante qui m’accueille au réveil porte un T-shirt rouge pétard "Christian Pior-Paris", ça doit être le cousin de Dior. Oui monsieur !
    Ce genre de détail est important au réveil. Rigolade.
    Je vis à la balinaise...
    Rarement j’ai connu tant d’ouverture de douceur et de simplicité, de la part de ceux qui accueillent l’étranger.
    Pak Juala arrive avec cinq pièces de bois qui serviront à ma formation : du Pule encore humide. Puis la hachette, puis les gouges, puis pangot dan pengutik...
    Une rencontre.
    A suivre...

    , par Charlie

  • 9 - Main

    La main toujours la main.
    L’outil et la main.
    Faut voir le geste : ça glisse sans hésiter sans corriger sans douter.
    Ligne de noir d’abord puis, avec un autre pinceau dans l’autre main, délaver la ligne pour obtenir le dégradé, le relief, le profond.
    Et puis le temps. Tout médite ici.
    La peintre se tait pour me laisser regarder.
    Nous restons longtemps car il n’y a plus de temps.
    Caresse la feuille qui devient oeuvre.
    Dérisoire. Tout se tait.
    Rama et sita se font construire leur manteau de scène.
    La grand mère accroupie derrière nous n’a qu’une dent du bas et crache une énième fois.
    Les ongles noirs ne salissent rien.
    Ces mains sont si solides.
    Ce sont les mains d’Ilou.

    , par Charlie

  • 8 - Truie

    La bête aux aguets est très grosse, je vois le masque de sa face.
    Sa face de masque.
    Tout est dans l’oeil.
    Je m’interroge par là, par l’oeil. Par l’oeil du masque.
    Un masque ça regarde.
    Avec un oeil sur le côté ça doit pas être facile tous les jours.
    Un oeil cadré de noir. Une coulure d’oeil.
    Une tache, l’oeil ?
    La truie prie-t-elle ?
    Son corps pointe son masque qui pointe son oeil...
    Peu importe ce qu’elle voit, elle voit, c’est sur.
    Et elle se donne à voir : elle propose.
    Elle en bave.
    Assise.
    Elle m’attend ça se voit, mais je préfère partir, ce n’est pas une histoire pour moi...

    Le masque de cette truie pourrait être un objectif pour l’élève sculpteur.

    Baru Patung...

    , par Charlie