• 7 - Le prince

    Vingt centimètres de haut.
    Ce jeune prince émerge d’une porte.
    Une machine ne pourrait pas atteindre ce niveau de détail, de finesse, de relief.
    Taillé dans la masse, il n’est qu’une partie d’un décor qu’on a du mal à croire tout droit sorti d’un bout de bois.
    Aucune ligne parallèle, aucun plan symétrique, une inclinaison de tête tendre mais décidée.
    Son théâtre c’est son cadre.
    La pose de ses pieds, l’orientation de ses mains, son costume et tout le toutim qui l’entoure, le poussent au mouvement, à la séduction, à la réussite.
    La nature qui l’enserre érotise la scène. Il est né là, et y mourra.
    Le sculpteur sait disparaitre.
    Eternelle présence d’un mouvement immobile.

    , par Charlie

  • 6 - Temple

    Bali est une terre de temples.
    Celui-ci est dans la cour de la maison où j’habite.
    C’est le lieu chargé et étrange au coeur duquel les signes par centaines se côtoient sans fin.
    Animisme oblige, la nature y a ses droits, et le néophyte peut croire à une ruine. Mais non, jamais une ruine de temple à Bali.
    Les bâtonnets d’encens ne sont pas vieux, les tissus parlent d’eux même, le vide et le plein s’embrassent sur la bouche. C’est vivant.
    Les points cardinaux, le haut, et le bas, sont l’échiquier complexe sur lequel jouent les ancêtres.
    Et je suis le Guerrier, hérissé par la formidable tempête cosmique, qui passe, inconscient, au milieux des charmes auxquels il n’a rien compris.
    Esprit es tu là ?

    , par Charlie

  • 5 - Le geste

    L’homme ici, sous une tonnelle dans un chemin perdu, sculpte avec patience des pièces qui semblent toutes des chefs d’oeuvre.
    Le fini du ciseau est brillant et net, le bois ne peut résister à ces gestes qui n’hésitent pas.
    C’est une émotion faite d’une vision, d’une odeur, et du son de ces outils simples. Tac-tac tac.
    Son corps entier est au bois. Il danse, se cale, déplace la masse pour trouver l’angle. Tape sans force et positionne des milliers de fois sa lame.
    Le bois fond lentement se laissant user jusqu’au dessin fragile et profond d’un regard, d’un front, d’une bouche...
    Un Jésus en croix, dégrossis, attend dans la poussière.
    Un Don Quichotte et son Sancho, encore humides de la pluie qui les a surpris, regardent au loin sans bouger.
    Des corps de sirènes de dos lancent leur fesses trop parfaites vers l’ouest.
    J’apprends par ce que je regarde...

    , par Charlie

  • 4 - Golgoth

    Ces statues géantes, plantées à l’entrée des villes importantes, font de moi un petit bonhomme à roulettes.
    Quand on lève les yeux, celui qui protège sait aussi inquiéter.
    A la dérive dans le ciel brouillon, prêt au combat, il n’annonce rien qui fasse rire.
    Ce ciel me semble plus abstrait que le Golgoth lui même.
    Ce n’est pas un dieu qui croit en l’équilibre. Avec lui chaque événement est dans l’ordre des choses. Il n’attend pas, il observe, convaincu qu’il est le lien raffiné entre vie et mort.
    La puissance du géant finit par s’oublier dans le tourbillon des armées de motos qui tournent à ses pieds... à l’aise.
    Je reprends ma route pour Gyangiar, fourmi à la recherche des outils du sculpteur : pangot dan pengutik.

    , par Charlie

  • 3 - Peler les visages

    Des techniques indonésiennes de sculptures j’ai appris à peler le bois.
    Peler donc les visages.
    Desquamer.
    Devant cette immense tête, mouillée, pelée, noire... me reviennent les gestes précis et nouveaux qu’il faut envisager pour sculpter.
    Borges a parlé d’un homme qui décida de passer sa vie à cartographier le monde pour se rendre compte au soir de sa vie que ce patient labyrinthe de lignes trace l’image de son visage...

    , par Charlie