41 - Feu

Je suis dans les environs de Gianyar, grande ville avec son marché magnifique, labyrinthe infini pour qui sait voir avec le nez.
S’installent devant le temple les premiers marchands de boissons, babioles et ballons pour gamins. Ces ballons scintillants qui viendront nous polluer tôt ou tard.
Deux grandes fausses vaches, l’une noire l’autre blanche, se tiennent fières.
Chacune son cadre de bambou. Petit toit en damier pour protéger d’autre chose que du soleil ou de la pluie.
Ça se prépare.
Mais il faut attendre.
Ou plutôt être là. Et c’est tout. C’est une activité qui me plait.
Être là suppose de renoncer à ce que ma tête tisse de possibles à explorer avant mon retour.
Bouger toujours bouger. Maladie, tic, boulimie ou stratégie d’évitement ?
Quoi qu’il en soit je reste là, décidé.
Les gens qui m’entourent me rappellent que le Français le plus connu est Zizou.
Chauve lui aussi. (rires)
Un homme vend des oiseaux minuscules encagés à l’arrière de sa mobylette Honda vintage. Un autre prépare des frites surgelées.
Deux lascars types forains tout droit sortis de "La BM du seigneur" approchent les chalumeaux qui serviront à monter la température : brûler des corps, encore un métier d’artisan.
Puis ils arrivent.
Ribambelle bruyante de mâles qui hissent à une cinquantaine la tour très haute au somment de laquelle le corps du défunt s’impatiente en compagnie de quelques représentants des hautes castes.
Une queue de femmes reliées entre elles par un long tissus blanc, farandole éphémère direction la vache blanche.
Descente du premier mort sous les jets d’eau d’un tuyau d’arrosage, rires et blagues à gogo, cris de liesse...
On découpe les vaches de pacotille on enfourne les corps et les offrandes, on met le feu...
Je passe sur les centaines de gestes des prêtres, les bénédictions, les rituels... le temps.
Dés les premières flammes les trois quart de l’assemblée s’en retourne, trainant de la tong.
Restent les gaillards et les soudeurs reconvertis. Une photo de mon grand père dans une locomotive, visage barbouillé de suie faisant face au fourneau de la bête, me revient en prolepse...
Quand le feu est géant, les soudeurs encore eux, se saisissent de grands bambous afin de faire descendre le corps dans un fracas de braises au niveau des chalumeaux... Ça crache fort et chaud : tout le mode recule.
On aperçois le crâne, un pied, une main à la peau cuite solide...
Idem pour le second dans l’autre vache...

Une femme ? Un vieux ?
Direction la mer ou la rivière pour les cendres.
Le Karma se chargera de la réincarnation, libération du matériel, de l’affectif, de tout ce qui nous tient ici, en bas.
Le Feu les souffle vers des cieux plus cléments. Purifiés.
Une vie, deux vies... etc.
Un ancêtre à venir...