35 - Persée raté

Aux abords des avenues embouteillées de Glodok qui lui sont interdites, un pousse-pousse flashy cherche en vain les touristes en voie d’extinction.

Je remonte jalan kaki le Chinatown de Jakarta.
Il fait penser à celui de Bangkok qui fait penser à celui de New-york... qui ne fait pas penser au 13ème ni à Belleville...

La ville, écrasée d’un grand ciel gris inquiet, chemine en se balançant parmi les dunes bétonnées. Se souvient-elle des palmiers en couloirs et d’un temps sans vitesse ?

Les cow-boys existent encore. Scotchés.
Pubs désuètes de mâles à épaules rigides. Ils glissent désinvoltes, propres, et sans cheval, dans ce qui leur reste de cigarette. Idiots sur un mur.
Têtes à claques en fin de règne.

Les bateaux ont renoncés à flotter.
Leur canal transpire la mort. Ça mijote. Une odeur crève-yeux.
Paysage à genoux de bouts, de traces et de trucs. Vaseux.
L’eau à du mal à trouver sa place, elle est comme moi, elle veut partir.

Les pictogrammes, comme partout sur la planète, doivent pouvoir parler aux étrangers et aux illettrés. Réussir là où rate la langue. Visuels d’interdits.
Ils trahissent, en bon soldats de l’ordre moral, la culture des gens des villes.
Ils en disent plus sans en avoir l’air. C’est le verso du pictogramme.
La nourriture par exemple est représentée par un burger et un gobelet. J’hésite entre pub déguisée et inconscient collectif moderne...
La femme est en mini jupe (elle fait des tractions à un bras) et l’homme, ( plus grand et gros sans vêtement et qui fait aussi des tractions à un bras) ne peut en abuser dans les transports en communs...
Il existe donc des pictogrammes pour les cons.
Rien à voir donc avec des étrangers ou des illettrés, rien avoir avec la langue ?
Déception.

Notes velours-gras des machines hoquetantes pilotées par des loups consciencieusement attelés à leur impossible fortune.
Une seule saison d’un an, un été, au coeur chaud duquel s’éternisent les maisons muettes des faubourgs très argentés.
Les vérités brassées sont trop vraies pour la toucher, la ville.
À Jakarta comme à Paris, on pardonne sans broncher.
On passe à autre chose. On sourit.
C’est le pardon du fantôme.

Le double de ma gueule rit dans son pochon brillant. Voici donc mon masque rose de blanc-chauve, voilé.
Le masque ne cache rien, il manifeste la mort qui se cabre dans la taule où la peur l’a condamné. C’est la Méduse, en jetable. Je suis un Persée qui a raté son coup : pétrifié. Voir en face est interdit. Faudrait un pictogramme là, non ?

Dans le dédale clownesque des stands, le muezzin n’est plus qu’une horloge chantante, et l’espoir déboulonné ne fait plus écrire les poètes. Ils préfèrent branler des joysticks ou brancher, dans leur rectum XXS, des prises USB 3.0.
Numérique, la révolution.

Mais comment dire adieu, alors, à tout ça… ?

J’écoute Dominique A. Mucic-Hall.