15 - Je suis Sèrli

Nous sommes plusieurs centaines à marcher vers le temple.
Quand les cymbales de cuivre s’arrêtent, les gongs eux, te tiennent en haleine.
Saillance de percussions syncopées.
Habillé et coiffé par mon Guru (professeur) je me laisse porté par le flux lascif des centaines de tongs qui s’usent sur l’asphalte.
Vieux jeunes enfants femmes hommes, mixture de corps alertes, costumes de cérémonie colorés, bagues aux doigts, odeur de cigarettes aux clous de girofle.
Des dizaines de femmes viennent déposer les plateaux d’offrandes vissés sur leurs têtes à quatre épingles.
Lent, très lent.
Sept heures que je suis là...
Les grands Barongs à quatre pâtes finissent par se placer devant le temple face au prêtre qui les sermonne.
La voix dans les hauts parleurs achève mes tympans.
S’en suit le toppeng pajegan, à deux acteurs et une dizaine de masques. Ils jouent au milieu d’un trafic de passants qui les noie par moment et les révèle à d’autres. Rien ne les arrêtera. Les gens rient dans le temple.
Le prêtre marmonne du haut de sa tourelle en bambous, un collier de perles à l’oreille, agite sa clochette puis jette des pétales, tourne les pages d’un manuscrit, arrose les objets argentés qui l’entourent à l’aide d’une branchette sur mesure, assis en tailleur, coiffe en turban blanc... Il surplombe, il domine, il arbitre.

La nuit qui tombe, se rend compte que je suis, pour finir, pris dans une prière géante. En tailleur dans l’herbe face à la muraille de feuilles d’or et de motifs ciselés, je reçois, comme tout le monde, les jets d’eau sacrée, répétant les shanti-shanti-ohm, mains jointes avec pétales de fleurs aux bouts des doigts ou derrière l’oreille, grains de riz collés au troisième oeil, nageur de pacotille dans les fumées d’encens qui m’asphyxient les yeux et terminent mes poumons. Une onde d’Inde me traverse.
Je me sens seul, loin, perdu. Mais complice. Mais vivant.

A la Balinaise, je suis Sèrli, bien rouler le "r".