• 17 - Hiéroglyphes

    Le temps se dilate.
    Les centaines de coups de pangot font vite des milliers.
    Sous le regard de ses copains, celui-ci me résiste, plus gros, plus humide, plus complexe. Mais la connivence est là, il est docile, il s’incline à l’usure.

    Je pense aux acteurs, aux actrices :
    Vers un théâtre de comportement.
    Ecrire avec ce masque : Hiéroglyphes en mouvement disait Artaud.
    Trouver les enchainements, les séquences, les partitions.
    Qui produisent l’écoute.
    Oublier le vrai, le crédible, le naturel... foutaises pour businessman.
    Tracer sans douter, avec le corps, des postures, des surprises de rythme.
    Marquer les arrêtes du dessins musical qui progresse par sautillements géométriques.
    Inquiéter, quoi qu’il se passe. Y croire.
    Du bout des doigts, de pied de main, retenir, laisser venir, retenir, laisser venir...
    Savoir ce qui vient, au centimètre.
    Tendre l’oeil, ouvrir l’oreille.
    Se la couler en saccade...

    , par Charlie

  • 16 - Casino

    Le coq pisse.
    Cet homme me montre où se lie la lame à la patte.
    Il veut m’impressionner.
    Il est chargé, dans son angle de béton, de réceptionner les perdants.
    Deux coqs dansent la mort toutes les dix minutes environ.
    Le défilé de bêtes tailladées, plantées, tremblantes, l’oeil tourné, n’en finit pas.
    Sur un bout de bois, dextérité et doigté à la machette, emportent rapidement l’animal.
    A l’ancienne.
    Coupe les pattes, enlève le fil à la patte, achève, déplume.
    Funérailles en forme de plumeaux bien garnis.

    Dans mon dos, la horde de mâles, roupies en main, qui fait arène sur des chaises en plastique, est peut-être ce qui inquiète le plus.
    Les sons tribaux pour faire monter les enchères, les cris, les râles, les petites phrases lancées au milieu de rien, invectives et crachats pendant les combats, les rires... en disent beaucoup.

    Il leur serait si facile de faire demi-tour, patte à lame dans l’assemblée, en saigner deux trois au passage, avant de voler mal vers d’autres paysages...
    Mais non, les coqs n’ont qu’une idée en tête : en finir avec le même qui leur fait face.
    Pas besoin de barrières, le coq, lui, ne se défile pas.
    Il sait, peut-être, ce qui l’attend de l’autre côté, alors il reste.

    C’est le coin de la mort, le coin du jeu.
    Celui du sang et de l’argent.
    Le coin des hommes.

    Faut bien crever,
    au casino Balinais...

    , par Charlie

  • 15 - Je suis Sèrli

    Nous sommes plusieurs centaines à marcher vers le temple.
    Quand les cymbales de cuivre s’arrêtent, les gongs eux, te tiennent en haleine.
    Saillance de percussions syncopées.
    Habillé et coiffé par mon Guru (professeur) je me laisse porté par le flux lascif des centaines de tongs qui s’usent sur l’asphalte.
    Vieux jeunes enfants femmes hommes, mixture de corps alertes, costumes de cérémonie colorés, bagues aux doigts, odeur de cigarettes aux clous de girofle.
    Des dizaines de femmes viennent déposer les plateaux d’offrandes vissés sur leurs têtes à quatre épingles.
    Lent, très lent.
    Sept heures que je suis là...
    Les grands Barongs à quatre pâtes finissent par se placer devant le temple face au prêtre qui les sermonne.
    La voix dans les hauts parleurs achève mes tympans.
    S’en suit le toppeng pajegan, à deux acteurs et une dizaine de masques. Ils jouent au milieu d’un trafic de passants qui les noie par moment et les révèle à d’autres. Rien ne les arrêtera. Les gens rient dans le temple.
    Le prêtre marmonne du haut de sa tourelle en bambous, un collier de perles à l’oreille, agite sa clochette puis jette des pétales, tourne les pages d’un manuscrit, arrose les objets argentés qui l’entourent à l’aide d’une branchette sur mesure, assis en tailleur, coiffe en turban blanc... Il surplombe, il domine, il arbitre.

    La nuit qui tombe, se rend compte que je suis, pour finir, pris dans une prière géante. En tailleur dans l’herbe face à la muraille de feuilles d’or et de motifs ciselés, je reçois, comme tout le monde, les jets d’eau sacrée, répétant les shanti-shanti-ohm, mains jointes avec pétales de fleurs aux bouts des doigts ou derrière l’oreille, grains de riz collés au troisième oeil, nageur de pacotille dans les fumées d’encens qui m’asphyxient les yeux et terminent mes poumons. Une onde d’Inde me traverse.
    Je me sens seul, loin, perdu. Mais complice. Mais vivant.

    A la Balinaise, je suis Sèrli, bien rouler le "r".

    , par Charlie

  • 14 - Baudelaire

    Mon pouce gauche me lance, rougit par le métal tant de fois controlé.
    Au fil de mes sorties, ma moto me jette sur des chemins improbables.
    Les gravats et les bouddhas.
    Scénographie de la chance où la rouille et l’herbe viennent nous rappeler que la couleur fut.
    Coiffé d’une lumière à l’ancienne, le bout du chemin m’impose l’arrêt.

    Atteindre la sagesse serait alors en passer par les gravats ?
    Les gravats de soi.
    Si la dualité est au coeur de cette culture, elle semble aussi la règle de tout.
    Un refrain.
    Suis-je un autre ici ?

    "Qu’est-ce que la chute ? Si c’est l’unité devenue dualité, c’est Dieu qui a chuté. En d’autres termes, la création ne serait-elle pas la chute de Dieu ?"

    , par Charlie

  • 13 - Lécher le bois

    Leçon d’affûtage.
    Pas de machine ici.
    Deux pierres et de l’eau.
    Et un touché aigu. Et l’oeil.
    Puis de la patience...

    Ces outils, qu’on ne trouve qu’ici, sont efficace quand il s’agit de couper.
    Le scalpel a trouvé des concurrents.
    Même si Mastercard vous assure un rapatriement soigné, entre la rouille, le tranchant et le premier hôpital à 100 km : ne pas rater son geste.
    Apprendre vite des petites blessures pour éviter les grosses.
    Celles qui dessinent le corps, le gribouille.

    Peut-on sculpter sans savoir aiguiser/affuter ?

    Passant et repassant le couteau sur la pierre, je pense : du métal à lécher du bois. De la pierre à lécher du métal...

    Le trio pierre métal bois commence à prendre forme dans mon cerveau remué.

    Le test d’un bon affutage : se raser la cuisse ou le bras quand on l’a poilu.
    Sur le Balinais, faut chercher un peu, moi j’ai de quoi tester plusieurs siècles...

    , par Charlie